E-sport : le cadre juridique des compétitions

Scpa BERTRAND
09.10.17 00:57 Commentaire(s)
esport compétition

Alors que le PSG qualifiait son équipe de Rocket League pour les Mondiaux, le Secrétaire d'Etat au numérique, Mounir Mahjoubi, a annoncé, à Rennes, le 3 octobre 2017, vouloir développer l'e-sport en France lors de sa rencontre avec les acteurs du numériques.

Pouvant réunir plus de 20 000 spectateurs et participants lors des finales LCS EU (League of Legends Championship Series Europe) à l'Accor Arena Hotel les 2 et 3 septembre 2017, l'e-sport dispose depuis la Loi pour une République numérique du 7 octobre 2016 d'un cadre juridique qui consacre une autorisation de principe soumise à l'agrément ministériel pour l'organisation des compétitions de e-sport. 
L'intérêt croissant pour l'e-sport et son émergence dans les compétitions internationales de sport, amènent le Cabinet Bertrand à revenir sur le cadre juridique de cette discipline.

La Loi pour une République numérique n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 consacre la reconnaissance par les pouvoirs publics du développement du sport électronique (I) et la nécessité de procurer un cadre légal aux compétitions d'e-sport (II).

I - Définition de l'e-sport

A) L'e-sport est-il un sport ?

La Charte européenne du sport adoptée en Conseil de l'Europe le 24 septembre 1992, définit le sport en son article 2 :

" toutes formes d'activités physiques qui, à travers une participation organisée ou non, ont pour objectif l'expression ou l'amélioration de la condition physique et psychique, le développement des relations sociales ou l'obtention de résultats en compétition de tous niveaux ".

La définition de la Charte européenne du sport ne trouve néanmoins pas son pendant dans l'ordre interne français, comme le rappelle d'ailleurs l'avant projet parlementaire :

" Au demeurant la mission tient à faire observer que le ministère des sports, et plus généralement la loi et le règlement, ne retiennent pas de définition univoque du sport. Le Conseil d’État, dans sa jurisprudence retient la méthode du faisceau d’indices (CE, 3 mars 2008, fédération des activités aquatiques d'éveil et de loisirs, n° 308568) : les principaux indices sont ceux de la recherche de la performance physique (cette performance pouvant être une question d’habileté, de réflexes et de précision, n’entraînant pas nécessairement une dépense calorique importante), l’organisation régulière de compétition et le caractère bien défini des règles de compétition ".

Du fait de cette absence de définition univoque du sport, les instances sportives françaises et internationales hésitent donc à reconnaître l'e-sport en tant que tel.

En France, si la Loi pour une République numérique reconnaît l'importance du développement de l'e-sport, elle ne mentionne à aucun moment l'e-sport en tant que sport. De même, la Loi n'a pas entendu rattacher l'e-sport au Code du sport.
                Le 26 janvier 2016, l’Assemblée nationale a adopté le projet de Loi pour une République numérique (adopté par le Sénat le 3 mai 2016 – 322 voix pour et une voix contre). Ce projet prévoyait entre autre un cadre légal nouveau pour le sport électronique développé dans un "rapport étape" relatif à la "pratique compétitive des jeux vidéo" rédigé par Jérôme Durain (Sénateur de la Saône-et-Loire) et Rudy Salles (Député des Alpes Maritimes).               

Ce rapport sur la pratique de l’e-sport a été remis le 23 mars 2016 à la secrétaire d’Etat au numérique Axelle Lemaire. Il démontrait la véritable transversalité juridique entre l’émergence d’un droit spécifique à cette nouvelle discipline prometteuse et le droit du sport notamment par une transposition du droit du travail du sport à l’e-sport.
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A l'international, l'e-sport fédère plus de 850 000 joueurs et environ 4 millions de téléspectateurs selon l'Agence Française pour le Jeu Vidéo. La Fédération internationale de e-sport (IeSF) compte 45 Etats membres, parmi lesquels la Chine, le Japon, l'Iran, la Corée du Sud, le Brésil, l'Egypte, l'Afrique du Sud, la Belgique, la Suisse, la Finlande et la Nouvelle Zélande. Dans certains de ces pays, comme la Finlande ou la Corée du Sud, la fédération nationale de e-Sport est également membre du Comité National Olympique.


Les Jeux Asiatiques de 2022, se déroulant en Chine, ont intégré l'e-sport aux sports médaillés, ce qui semble être un premier pas vers la reconnaissance de l'e-sport par le Comité International Olympique (CIO). Le communiqué de presse du Comité Olympique Asiatique, qui fait aussi état de la participation de l'e-sport aux Jeux Olympiques d'arts martiaux en intérieur en septembre 2017, mentionne certains jeux vidéo qui pourront être concernés par la compétition olympique : FIFA 17, MOBA (Multiplayer Online Battle Arena tel que League of Legends) et les jeux de RTA (Real Time Attack).


Pour autant, le 2 septembre 2017, le Président du CIO, Thomas Bach, rappelle que l'instance olympique souhaite "promouvoir la non-discrimination, la non-violence et la paix entre les peuples [ce qui] ne correspond pas aux jeux vidéo, qui se basent sur la violence, les explosions et les tueries".


Dès lors, et toujours selon Thomas Bach, les seuls jeux vidéo pouvant éventuellement représenter l'e-sport au cours d'une compétition olympique, seraient ceux permettant de jouer "à du football virtuel ou d'autres sports virtuels [ce qui] serait d'un grand intérêt" puisque les joueurs devraient "[délivrer] véritablement des performances sportives" pouvant ensuite les amener "à pratiquer les sports dans le monde réel".
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B) La définition de l'e-sport dans l'ordre interne français

La Loi pour une République numérique ne définit pas l'e-sport. L'article 101 de la Loi n°2016-1321, codifié à l'article L. 321-8 du Code de la sécurité intérieure fait néanmoins référence à la compétition de jeux vidéo :

"une compétition de jeux vidéo confronte, à partir d'un jeu vidéo, au moins deux joueurs ou équipes de joueurs pour un score et une victoire".

Le jeu vidéo est alors déterminé selon sa définition prévue à l'article 220 terdecies II du Code général des impôts :

"II. – Est considéré comme un jeu vidéo tout logiciel de loisir mis à la disposition du public sur un support physique ou en ligne intégrant des éléments de création artistique et technologique, proposant à un ou plusieurs utilisateurs une série d'interactions s'appuyant sur une trame scénarisée ou des situations simulées et se traduisant sous forme d'images animées, sonorisées ou non".

De même, l'article 102 de la Loi pour une République numérique définit le joueur comme :

" Toute personne ayant pour activité rémunérée la participation à des compétitions de jeu vidéo dans un lien de subordination juridique avec une association ou une société bénéficiant d'un agrément du ministre chargé du numérique […]".

Le décret n° 2017-872 du 9 mai 2017 relatif au statut des joueurs professionnels salariés de jeux vidéo compétitifs encadre quant à lui l'e-sport en matière de droit du travail [ce point fera bientôt l'objet d'un nouvel article à retrouver sur notre site]. Il transpose le contrat de travail à durée déterminée spécifique en matière sportive (Loi n° 2015-1541 du 27 novembre 2015 visant à protéger les sportifs de haut niveau et professionnels et à sécuriser leur situation juridique et sociale) au bénéfice des joueurs de e-sport.

II - Le nouveau cadre légal des compétitions d'e-sport

A) L'absence d'une fédération nationale de l'e-sport

Ni le rapport parlementaire, ni la Loi pour une République numérique ne reconnaissent l'e-sport comme un sport. Le rapport parlementaire appuie en outre sur le fait que " le secteur du jeu vidéo compétitif apparait en effet aujourd’hui trop peu structuré pour se constituer en une fédération agréée ". La création d'une fédération aurait pourtant permis une meilleure organisation et un meilleur contrôle des compétitions, notamment par le biais des chambres disciplinaires.

Des initiatives privées du secteur sont donc, pour l'heure, venues pallier cette absence de fédération "sportive" (agréée ou délégataire). Par exemple, le 27 avril 2016, les acteurs, joueurs, fans et éditeurs de l’esport en France ont créé l'Association France Esport, sous l’impulsion du Ministère de l’Economie et du Secrétariat chargé du Numérique. Il s'agit d'une association Loi 1901 à but non-lucratif, visant à développer l’activité. De même, l'Agence Française pour le Jeu Vidéo a pour objet de favoriser l'emploi et la création d'entreprise au sein de la communauté française des concepteurs, producteurs, éditeurs et distributeurs d'oeuvres multimédia et d'en promouvoir les innovations, les créations techniques, artistiques et intellectuelles.

B) Une autorisation de principe soumise à l'agrément ministériel

En l'absence d'entité fédérale unique, la Loi pour une République numérique a dû définir un cadre particulier aux compétitions de e-sport. Dans le régime antérieur, l’organisation des compétitions de jeux vidéo appartenait au cadre juridique des loteries et jeux d’argent dès lors qu’elles récompensaient les joueurs par des gains financiers et était donc soumise à une interdiction de principe des loteries physiques en vertu de l’article 322-1 du Code de la sécurité intérieure :

"Les loteries de toute espèce sont prohibées".

Les organisateurs devaient obtenir des dérogations afin d’organiser les manifestations et compétitions ce qui était contraignant tant pour les organisateurs que pour les joueurs et les sponsors.

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AFJV

La Loi pour une République numérique permet la légalisation des compétitions qui désormais disposeront d’un statut spécifique d’autorisation de principe soumis à agrément ministériel concernant l’intégrité des compétitions et la lutte contre la fraude (article 42 du texte de la "petite loi" adoptant la Loi n° 2016-1321). Les nouveaux articles R. 321-40 à R. 321-50 du Code de la sécurité intérieure, issus du décret n° 2017-871 du 9 mai 2017, précisent les éléments de la déclaration à déposer au Ministère de l'intérieur au minimum 30 jours avant le début de la compétition. Elle doit notamment comprendre :

1° Les nom, prénom, date et lieu de naissance de l'organisateur ou de son représentant légal ainsi qu'une copie numérique de son titre d'identité ;
2° L'adresse, les coordonnées téléphoniques et de la messagerie électronique, ainsi que le site internet de l'organisateur et, le cas échéant, sa raison sociale ;
3° Le ou les jeux utilisés pour la compétition ;
4° Le lieu, les dates et la durée de la compétition ;
5° Le nombre de participants attendus ;
6° Le cas échéant, la mention de la retransmission télévisuelle ou en flux de la compétition ;
7° La désignation du matériel servant de support à la compétition ; …

Cette Loi n’intègre cependant pas les compétitions en ligne payantes pour lesquelles le risque de fraude est trop élevé, ni les paris effectués durant les compétitions de e-sport qui restent interdits en vertu de l'article L. 322-1 du Code de la sécurité intérieure.

En résumé :

Par la Loi pour une République numérique, l'e-sport intègre le Code de la sécurité intérieure et non le Code du sport, ce qui ne permet pas de répondre avec certitude à la question de la reconnaissance de l'e-sport en tant que sport à part entière.

Néanmoins, la Loi admet le développement des compétitions, ainsi que leur encadrement par les pouvoirs publics. Il est important d'effectuer les démarches d'enregistrement et d'agrément avec la plus grande précaution.

Cette précaution est également de rigueur lors de la signature d'un contrat de travail avec un joueur [article à retrouver prochainement sur notre site].

Scpa BERTRAND