Comment les droits TV du football professionnel sont-ils commercialisés et redistribués en France ?

Scpa BERTRAND
09.07.21 18:56 Commentaire(s)
Droits TV du football professionnel

Les droits audiovisuels des compétitions de football professionnel sont attribués par la Ligue de Football Professionnel (LFP) qui centralise leur commercialisation pour le compte des clubs de football professionnels (cette attribution de droits a d'ailleurs récemment été au cœur d'un litige entre la LFP et le Groupe Canal Plus devant l'Autorité de la concurrence). Quels sont les fondements juridiques de ce système centralisé, au cœur d'un équilibre nécessaire entre les principes de libre concurrence, de solidarité et d'intérêt général ?

Autorité de la concurrence et football
Cet article ne porte pas spécifiquement sur le litige ayant opposé la LFP au Groupe Canal + devant l'Autorité de la concurrence. Pour plus de détails sur ce litige, vous pouvez consulter le communiqué du 11 juin 2021 de l'Autorité de la concurrence : "Réattribution des droits TV de la Ligue 1 de football : l’Autorité de la concurrence rejette, pour absence d’éléments suffisamment probants, la plainte de Groupe Canal + visant la LFP".

La propriété et la commercialisation des droits d'exploitation audiovisuelle des compétitions  organisées par la LFP

Selon le Code du sport

Les relations entre la FFF, la LFP et les clubs professionnels concernant les droits d’exploitation audiovisuelle des compétitions organisées par la LFP sont régies par les dispositions des articles L. 333-1 et suivants et R. 333-1 et suivants du Code du sport, fixant les conditions de la commercialisation par la LFP de ces droits.

Conformément à l'article L.333-1 du Code du sport ( voir également le Règlement intérieur audiovisuel de la LFP, version 2004), la FFF a cédé la propriété de ses droits d'exploitation audiovisuelle aux clubs de football professionnels prenant part aux compétitions organisées par la LFP.


La LFP dispose ainsi de l'exclusivité sur la commercialisation des droits d'exploitation audiovisuelle des clubs professionnels français : «Les droits d'exploitation audiovisuelle cédés aux sociétés sportives sont commercialisés par la ligue professionnelle dans des conditions et limites précisées par décret en Conseil d'Etat. Cette commercialisation est effectuée avec constitution de lots, pour une durée limitée et dans le respect des règles de concurrence» (article L.333-2 du Code du sport).


Par ailleurs, l'article R.333-2 du Code du sport précise qu'« en cas de cession de la propriété de tout ou partie des droits d'exploitation audiovisuelle dans les conditions prévues à l'article R. 333-1, la ligue professionnelle commercialise à titre exclusif les droits d'exploitation audiovisuelle et de retransmission en direct ou en léger différé, en intégralité ou par extraits, quel que soit le support de diffusion, de tous les matchs et compétitions qu'elle organise. Il en est de même des extraits utilisés pour la réalisation de magazines d'information sportive». 


Enfin, l'alinéa 3 du même article prévoit que la ligue et les clubs « arrêtent les modalités de la commercialisation par lesdites sociétés des droits non commercialisés par la ligue et des droits inexploités».

L'article L. 333-1 du Code du sport dispose :

«Les fédérations sportives, ainsi que les organisateurs de manifestations sportives mentionnés à l'article L. 331-5 sont propriétaires du droit d'exploitation des manifestations ou compétitions sportives qu'ils organisent.


Toute fédération sportive peut céder aux sociétés sportives, à titre gratuit, la propriété de tout ou partie des droits d'exploitation audiovisuelle des compétitions ou manifestations sportives organisées chaque saison sportive par la ligue professionnelle qu'elle a créée, dès lors que ces sociétés participent à ces compétitions ou manifestations sportives. La cession bénéficie alors à chacune de ces sociétés».

Selon les règlements de la FFF et de la LFP

Les règlements de la FFF et de la LFP viennent compléter le dispositif juridique.


L'on peut ainsi citer l'article 26 de la Convention entre la FFF et la LFP, lequel prévoit que les droits d’exploitation audiovisuelle cédés par la FFF aux sociétés sportives sont commercialisés à titre exclusif par la LFP :


«Toutes les dispositions d’ordre financier ainsi que celles fixant le cadre des relations de la FFF, de la LFP et des clubs professionnels avec les diffuseurs audiovisuels font l’objet d’un protocole d’accord financier annexé à la présente convention.

 

Les modalités de ce protocole, préalablement soumises à l’Assemblée Générale de la LFP, doivent être approuvées par l’Assemblée Générale de la FFF. (...)».

 

L'article 4 du Protocole financier entre la FFF et la LFP précise également :


«(...) Aucun club ne peut prendre des accords avec une chaîne de télévision visant la retransmission en direct ou en différé de rencontres amicales ou de tournois, sans l’autorisation expresse de la FFF et de la LFP.


Les conventions conclues par la LFP dans le cadre de la commercialisation des droits d’exploitation audiovisuelle, selon les dispositions de l’article R333-2 alinéa 1 du Code du sport, sont signées par la LFP.


Ces conventions s’imposent impérativement à tous les clubs concernés. En cas de non-respect des obligations en découlant, les sanctions sportives et financières suivantes pourront être prononcées par les Commissions compétentes:

- première sanction :

o à l’encontre du Président du club : suspension de 3 à 6 mois ;

o à l’encontre du club : amende de 32 000 € à 160 000 € et retrait de trois points au classement du championnat.

- en cas de récidive :

o à l’encontre du Président du club : radiation ;

o à l’encontre du club : suppression du bénéfice des répartitions provenant des contrats de télévision et rétrogradation sportive».

Commission Européenne et droits TV dans le sport

La centralisation des droits TV : un équilibre recommandé par les institutions de l'Union Européenne et l'Autorité de la concurrence entre les atteintes au principe de libre concurrence et le principe de solidarité

Une atteinte au principe de libre concurrence du droit de l’Union Européenne

De ce système de vente centralisée découle des comportements susceptibles d'enfreindre le droit européen de la concurrence : des ententes prohibées par l’article 101 TFUE et des abus de position dominante prohibés par l’article 102 TFUE


L’exclusivité confiée à la LFP contraint en effet les clubs à mandater la ligue pour céder les droits audiovisuels dont ils sont propriétaires. Ce mandat empêche ainsi les clubs de vendre individuellement les images des rencontres auxquelles ils participent ce qui constitue une restriction de concurrence. A propos du droit exclusif de l'UEFA de vendre certains droits audiovisuels de la Ligue des champions au nom des clubs de football participants, la Commission européenne affirmait par exemple dans sa décision du 23 juillet 2003 que «les règles de vente centralisée de l'UEFA restreignent la concurrence entre les clubs de football, en ce sens qu'elles ont pour effet de coordonner la politique en matière de prix ainsi que toutes les autres conditions commerciales pour l'ensemble des clubs produisant des contenus relatifs à la Ligue des champions». 

Toutefois, la Commission considère que ces règles restrictives peuvent être exemptées dans les circonstances spécifiques de l'espèce. Il est en effet possible de justifier une restriction de concurrence lorsqu'elle est équilibrée avec les avantages qui en résultent, conformément à l'article 101§3 du TFUE :

« 3. Toutefois, les dispositions du paragraphe 1 peuvent être déclarées inapplicables:

- à tout accord ou catégorie d'accords entre entreprises,

- à toute décision ou catégorie de décisions d'associations d'entreprises et

- à toute pratique concertée ou catégorie de pratiques concertées

qui contribuent à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique, tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, et sans:

a) imposer aux entreprises intéressées des restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs,

b) donner à des entreprises la possibilité, pour une partie substantielle des produits en cause, d'éliminer la concurrence». 

Ou prendre un RDV en visio en ligne

Une atteinte justifiée par le principe de solidarité 

Saisi pour avis dans le cadre de l'élaboration des textes applicables en France à la commercialisation des droits d'exploitation audiovisuelle des compétitions sportives, le Conseil de la concurrence, devenu l'Autorité de la concurrence, a souligné dans un avis 04-A-09 que «la commercialisation centralisée des droits des compétitions a une justification économique, comme la diminution des coûts de transaction, la cohérence globale du produit, une meilleure valorisation de l’ensemble par comparaison avec une commercialisation club par club, et une garantie de ressources pour l’ensemble des clubs».

De même, dans le Livre blanc sur le sport, la Commission européenne estime que la vente centralisée peut constituer un moyen efficace de vendre les droits TV ainsi que de garantir l'intégrité des compétitions, d'en préserver la nature et l'intérêt. La Commission indique notamment que «la vente centralisée des droits peut être importante pour la redistribution des revenus et peut donc constituer un instrument au service d’une plus grande solidarité dans le sport».

Le Parlement européen, dans sa Résolution du 8 mai 2008 sur le Livre blanc sur le sport recommande aux États membres et aux fédérations sportives à «introduire, là où ce n’est pas encore le cas, la vente centralisée des droits médiatiques », au motif qu’elle constitue « un instrument au service d’une plus grande solidarité dans le sport».

Les mécanismes de redistribution des recettes issues de la vente des droits audiovisuels afin de garantir l'intérêt général 

Si l’article L. 333-3 du Code du sport prévoit une répartition entre la fédération, la ligue et les sociétés sportives (A), l’article 302 bis ZE du Code général des impôts et les Statuts de la FFF et de la LFP prévoient également une redistribution d’une partie des droits d’exploitations au secteur amateur (B).

La redistribution des recettes issues de la vente des droits audiovisuels entre la ligue, la fédération et les clubs

L’article L. 333-3 du Code du sport dispose :

«Afin de garantir l'intérêt général et les principes d'unité et de solidarité entre les activités à caractère professionnel et les activités à caractère amateur, les produits de la commercialisation par la ligue des droits d'exploitation des sociétés sont répartis entre la fédération, la ligue et les sociétés.[...]

Les produits revenant aux sociétés leur sont redistribués selon un principe de mutualisation, en tenant compte de critères arrêtés par la ligue et fondés notamment sur la solidarité existant entre les sociétés, ainsi que sur leurs performances sportives et leur notoriété».

Il existe ainsi trois critères légaux non limitatifs qui fondent la répartition des droits audiovisuels : la solidarité, les performances sportives et la notoriété des clubs. La notoriété est appréciée en fonction de la diffusion des matchs par les chaînes détentrices des droits.

Les Statuts de la LFP prévoient la répartition des droits audiovisuels entre la Ligue 1 et la Ligue 2 en Assemblée générale (Art. 12 des Statuts de la LFP) mais aussi entre chaque club au sein de leur ligue respective, via le Conseil d'Administration de la ligue sur proposition des Collèges de Ligue 1 et Ligue 2 (Art. 22 des Statuts de la LFP). Pour la saison 2020-2021, le Conseil d’administration a délégué au Bureau de la LFP son pouvoir d'adoption du guide de répartition des droits audiovisuels Ligue 1 et Ligue 2.

Selon l'Étude de législation comparée n° 275 du Sénat - Les droits audiovisuels du football : cession et répartition, les modalités de répartition de ces droits sont différentes selon les ligues : modalités de répartition de ces droits sont différentes selon les ligues :

«pour la Ligue 1, cette répartition s'effectue selon les cinq critères : part fixe, licence club, classement sportif sur la saison en cours, classement sportif sur les cinq saisons révolues, classement notoriété sur les cinq saisons révolues ;

- pour la Ligue 2, il n'y a pas de prise en compte du classement sportif sur les cinq dernières saisons, la notoriété est prise en compte sur la seule saison en cours et la formation (qui ne figure pas dans les trois critères prévus par la loi) est néanmoins prise en compte».

La redistribution d’une partie des recettes issues de la vente des droits audiovisuels au sport amateur

Une redistribution via l’Agence Nationale du Sport à toutes les disciplines sportives

L’article 302 bis ZE du Code Général des Impôts prévoit une contribution de 5% des sommes hors TVA encaissées par la ligue au titre des droits cédés par elle.


Cette taxe, aujourd’hui affectée à l’Agence nationale du sport, a été créée pour faire jouer la solidarité envers le sport amateur (Art. L. 411-2 du Code du sport).

Une redistribution via la LFP au football amateur

Le protocole d’accord financier FFF/LFP 2021/2022 prévoit que conformément aux Statuts de la FFF (Art. 32.8) et la LFP (Art. 39), la LFP s’engage «à verser chaque saison à la FFF une contribution financière unique en faveur du football amateur qui sera calculée à hauteur de 2,5% de l’assiette constituée des droits d’exploitation audiovisuelle négociés par la LFP (nets de la taxe sur la cession des droits de diffusion prévue à l’article 302 bis ZE du Code général des impôts) et des recettes de la LFP sur les paris sportifs. Cette contribution ne pourra être inférieure à un minimum garanti fixé à 14 60 000 €».

Football et droits audiovisuels

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Scpa BERTRAND