Football : la Cour d'appel de Bruxelles juge illégal le recours obligatoire au Tribunal Arbitral du Sport imposé par la FIFA

Scpa BERTRAND
04.09.18 19:32 Commentaire(s)
avocat arbitrage TAS et FIFA

Par un arrêt du 29 août 2018, la Cour d’Appel de Bruxelles prononce l’illégalité des clauses de recours obligatoire au Tribunal Arbitral du Sport (TAS) figurant dans les statuts de la FIFA, de l’UEFA (Union of European Football Association) et des fédérations nationales affiliées, au regard notamment du droit européen et de la Convention Européenne des Droits de l’Homme.

Sur l’obligation faite aux clubs de footballs affiliés à la FIFA de recourir obligatoirement et exclusivement à un arbitrage devant le TAS

En l’espèce, un litige opposait le Royal Football Club Seraing et la Société Doyen Sports à la FIFA, l’UEFA, l’URBSFA (Union Royale Belge des Sociétés de Football Association) et la FIFPRO (le syndicat mondial des joueurs).

Le Club de football belge a été sanctionné par la FIFA en septembre 2015 d'une amende assortie d'une interdiction de recrutement de deux ans, correspondant à 4 "mercatos", pour avoir conclu une "convention de TPO" (Third Party Ownership) avec la société Doyen Sport en janvier 2015.

En effet, pour rappel, la FIFA a interdit ce type de contrat suite à une directive adoptée en 2015 (pour en savoir à ce sujet ainsi que le règlement FIFA sur la TPO).

Cette sanction a été confirmée par le TAS selon sentence du 9 mars 2017 ainsi que par le Tribunal Fédéral Suisse par un arrêt du 20 février 2018

En parallèle de la procédure devant les instances sportives, les requérants (le RFC Seraing ainsi que la société Doyen Sport) avaient également contesté la décision de la FIFA en déposant une plainte devant la justice civile belge.

La Cour d'Appel de Bruxelles avait ordonné la réouverture des débats par un « arrêt interlocutoire » du 11 janvier 2018 afin de se prononcer sur sa compétence à juger le dossier, avant même de se prononcer au fond (pour en savoir plus). 

L’arrêt du 29.08.2018 ne porte donc que sur la question de la compétence, et en particulier sur l'examen de la légalité de l’obligation faite aux clubs de footballs affiliés à la FIFA de recourir obligatoirement et exclusivement à un arbitrage devant le TAS (en appel des décisions de première instance de la FIFA), obligation par ailleurs également assortie d’une interdiction générale de s’adresser aux juridictions ordinaires.

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Sur l’arrêt du 29 août 2018 de la Cour d'Appel de Bruxelles

Le point fondamental soulevé par la Cour est la question de la « soumission à l’arbitrage exprimée en des termes généraux, couplée à une interdiction de saisir les tribunaux étatiques ».

Sur la soumission à l'arbitrage exprimée en des termes généraux 

La Cour d’appel de Bruxelles a porté son examen sur la rédaction des clauses d'arbitrage, critiquées en l’espèce notamment au regard de la généralité des termes employés, sans qu'il ne soit fait référence à un "rapport de droit déterminé".

La Cour d’appel de Bruxelles définit le rapport de droit déterminé comme étant :

« l’ensemble des obligations découlant d’un contrat entre les parties ou l’ensemble des relations juridiques d’un caractère particulier. »

Pour sa part, la FIFA considérait que :

« la clause vise un rapport de droit déterminable ou déterminé en raison du fait qu’elle-même n’agit que pour poursuivre son objet social, et que la clause ne vise que les personnes qui y sont visées, et non tout tiers. »

Cependant, au visa de certains principes européens tels que le droit d’accès à la justice, le respect de la volonté des parties ou encore la préoccupation « d’éviter que la partie qui se trouve dans une situation de plus grande puissance économique n’impose à la partie adverse un for général déterminé », la Cour d’Appel de Bruxelles conclut que le fait d’avoir « rédigé la clause de telle façon qu’elle permet d’appréhender tout type de litige entre les parties désignées » fait de celle-ci une « clause générale ne concernant pas un rapport de droit déterminé ».

Elle ne peut donc recevoir application car ne remplit pas les conditions de validité d’une clause d’arbitrage en droit belge, laquelle doit fixer un rapport de droit déterminé.

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Sur l’interdiction de saisir les tribunaux étatiques :

Puis, la Cour s’est prononcée sur l'interdiction de saisir les tribunaux étatiques, figurant aux statuts d’une fédération sportive internationale, lesquels imposent le recours obligatoire aux instances sportives et à l’arbitrage du TAS.

La FIFA et l’UEFA ont contesté la compétence des juridictions étatiques belges, considérant qu’il n’existait aucun "lien de rattachement étroit entre la contestation et le tribunal du lieu où le fait causal a produit directement ses effets dommageables ".

La FIFA conclut donc à l’impossibilité d’attraire un défendeur étranger devant le tribunal du domicile d’un co-défendeur (l’URBSFA ).

Sur ce point, la Cour rappelle le principe de connexité définit selon la Convention de Lugano comme :

« un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps pour éviter des solutions qui pourraient être inconciliable si les causes étaient jugées séparément. »

La Cour retient également que :

« attraire la FIFA et l’UEFA devant les juridictions suisses tout en citant l’URBSFA devant les juridictions belges, cette situation serait susceptible de conduire à des solutions inconciliables.
(...) 
Il y a donc connexité entre les demandes originaires dirigées à l’encontre de l’URBSFA, la FIFA et l’UEFA.
(...)
Cette solution découle du caractère international des activités de ces parties, et de la structure pyramidale du l’organisation du sport, faisant intervenir tant les associations faîtières internationales que les fédérations nationales."

En conclusion, la Cour considère que :

"La compétence internationale des juridictions de céans étant justifiée par l'article 6.1 de la Convention, en ce qui concerne les effets des décisions litigieuses en Belgique, il n'est pas nécessaire d'examiner si elle l'est également par l'article 5.3 de la même Convention, disposition qui ne saurait fonder une compétence plus étendue.

Dès lors que les juridictions de céans sont compétentes internationalement pour connaître des demandes originaires de Doyen Sport, elles le sont également pour connaître des demandes incidentes formées par les parties intervenantes volontaires."

Sur la portée de cet arrêt sur le recours à l'arbitrage du TAS

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Les débats se poursuivront sur le fond le 4 octobre 2018 devant la même Cour au sujet de la sanction d'interdiction de transfert. 

La Cour rappelle ici le principe selon lequel l’arbitrage ne peut exister que sur la base d’un véritable consentement, et ne peut porter de manière générale, sur tous les litiges qui pourraient survenir entre les fédérations et les joueurs et les clubs.

La Cour considère que l'arbitrage "trouve sa source et sa justification dans la volonté des parties de recourir à ce mode alternatif de règlement des conflit en lieu et place des tribunaux étatiques", ce qui était exclu en l'espèce.

Les avocats du FC Seraing, Mes Jean-Louis DUPONT et Martin HISSEL se sont exprimés à ce sujet (lire l'article du Monde) :

« Non seulement la FIFA et l’UEFA ne pourront plus se cacher derrière le TAS, mais de plus elles pourront être assignées devant toute juridiction étatique.
(...)
Il 
 est illusoire pour les fédérations internationales de tenter d’imposer à tous et pour tous un arbitrage devant le TAS. De plus, concernant le passé, il est fort probable que la validité de nombreuses sentences rendues par le TAS puisse être remise en cause, en raison de l’illégalité des clauses qui imposaient la compétence du TAS»

Le Conseil International de l'Arbitrage en matière de Sport (CIAS) a réagi à la suite de la décision de la Cour d'appel de Bruxelles et considère "qu'aucune clause TAS n'a été déclarée illégale dans le jugement bruxellois".  Retrouvez le communiqué de presse du CIAS ici

Scpa BERTRAND