La Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE) a rendu, le 21 décembre 2023, 3 arrêts portant sur le monopole des fédérations sportives internationales

Scpa BERTRAND
21.12.23 20:34 Commentaire(s)
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La Cour de Justice de l’Union européenne déclare que les règles de l’UEFA, de la FIFA ou encore de l’ISU sur l’approbation préalable des compétitions sportives sont contraires au droit européen de la concurrence. Par ailleurs, la Cour précise également que les organes d’arbitrage, en matière de sport, doivent pouvoir faire l’objet d’un contrôle juridictionnel effectif, notamment par la mise en œuvre d’une question préjudicielle.

LA CJUE se prononce le 21 décembre 2023 sur l’application des règles anti concurrentielles du TFUE (101 et 102) et sur l’article 267 visant les questions préjudicielles

La Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a rendu le 21/12/2023 3 arrêts portant sur le monopole des fédérations sportives internationales.


Ces 3 décisions vont avoir une résonance annoncée comme au moins aussi importante que l’arrêt Bosman du 15 décembre 1995 !

Nous aurons l’occasion de revenir sur la portée de chacun de ces arrêts, mais il convient d’ores et déjà d’en retenir les principes essentiels suivants.
Le premier arrêt, concerne un recours d’un conglomérat de clubs de football (dit Super League) à l’encontre de la FIFA et de l’UEFA.

Le second arrêt porte sur la libre circulation des sportifs et sur l’impact de cette liberté sur la concurrence. 

Le troisième arrêt concerne un recours de l’International Skating Union (ISU) en appel d’un arrêt du Tribunal (1ère instance de la CJUE) qui avait rejeté sa demande d’annulation d’une Décision de la Commission Européenne qui avait, par décision du 8 décembre 2017, considéré que les règles d’autorisation préalable et d’éligibilité (qualification) étaient incompatibles avec l’article 101 du TFUE ; La Décision de la Commission avait été initiée par 2 patineurs de vitesse sur glace.

SUR L’ARRET RENDU PAR LA GRANDE CHAMBRE DE LA CJUE (AFFAIRE C-333/21) : EUROPEAN SUPERLEAGUE COMPANY SL C/ FIFA ET UEFA

La Cour de Justice de l’Union Européenne a publié un communiqué de presse.

Il en ressort que : 

« Les règles de la Fédération internationale de football association (FIFA) et de l’Union des associations européennes de football (UEFA) soumettant à leur autorisation préalable la création de tout projet de nouvelle compétition de football interclubs, telle que la Superleague, et interdisant aux clubs et aux joueurs de participer à celle-ci, sous peine de sanctions, sont illégales. En effet, les pouvoirs de la FIFA et de l’UEFA ne sont encadrés par aucun critère assurant leur caractère transparent, objectif, non discriminatoire et proportionné. 

De même, les règles qui attribuent à la FIFA et à l’UEFA un contrôle exclusif sur l’exploitation commerciale des droits liés à ces compétitions sont de nature à restreindre la concurrence, compte tenu de l’importance de ces dernières pour les médias, les consommateurs et les téléspectateurs dans l’Union. »

La Cour estime donc que : 

« Il s’ensuit que, dans le cas où des règles d’autorisation préalable, de participation et de sanction ne sont pas encadrées par des critères matériels et par des modalités procédurales propres à en garantir le caractère transparent, objectif, précis, non discriminatoire et proportionné, leur adoption et leur mise en œuvre constituent un abus de position dominante au sens de l’article 102 TFUE. »

La Cour de Justice de l’Union Européenne a publié un communiqué de presse.

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SUR L’ARRET RENDU PAR LA GRANDE CHAMBRE DE LA CJUE (AFFAIRE C-680/21) : ROYAL ANTWERP FOOTBALL CLUB

La Cour juge que les règles de l’UEFA et de l’URBSFA (Fédération Belge de Football) relèvent du champ d’application du droit de l’Union européenne, en ce qu’elles portent sur l’exercice d’une activité économique et professionnelle. 

Les juges européens estiment que les règles relatives aux joueurs formés localement pourraient

 « avoir pour objet ou pour effet de restreindre la possibilité qu’ont les clubs de se faire concurrence en recrutant des joueurs de talent, quel que soit le lieu où ceux-ci ont été formés ». 
En outre, il est également considéré que les règles en cause peuvent porter atteinte à la libre circulation des travailleurs, pouvant ainsi engendrer une discrimination indirecte fondée sur la nationalité. 
Toutefois, la Cour énonce qu’il reste la possibilité à l’UEFA et l’URBSFA de 

« Démontrer que ces règles encouragent malgré tout le recrutement et la formation, et qu’elles sont proportionnées à cet objectif ». 

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SUR  L’ARRET RENDU PAR LA GRANDE CHAMBRE DE LA CJUE (AFFAIRE C-124/21 P) : INTERNATIONAL SKATING UNION C/ COMMISSION

Comme pour les deux arrêts précédents, la Cour rappelle que l’organisation des compétitions sportives constituent une activité économique, devant par conséquent respecter les règles de concurrence. 

La Cour souligne qu’une association sportive peut faire adopter, et faire respecter, des règles relatives à l’organisation des compétitions, mais ces règles 

« doivent faire l’objet d’un encadrement propre à en assurer le caractère transparent, objectif, non discriminatoire et proportionné ». 

A défaut d’un encadrement de ces règles, ces dernières qui limitent la mise en place de compétitions nouvelles excluent illégalement du marché toute entreprise concurrente. Les règles édictées par l’ISU violent ainsi les règles européennes de concurrence. 

La Cour rappelle que les articles 101 et 102 du TFUE sont d’effet direct. 

La Cour va beaucoup plus loin. Elle accueille l’appel incident formé par EU Ahtletes.

Aussi, elle précise sans ambiguïté que les sentences prononcées par un organe arbitral tel que le Tribunal Arbitral du Sport (TAS) doivent pouvoir faire l’objet d’un contrôle juridictionnel par la mise en œuvre d’une question préjudicielle (art. 267 du TFUE) :

« La présente affaire permet à la Cour d’apporter des précisions inédites sur les obligations incombant aux fédérations sportives au regard de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, lorsque celles-ci ont institué, dans l’exercice des pouvoirs qu’elles détiennent en vertu de leurs statuts, des règles d’autorisation et de contrôle, assorties de sanctions, relatives à l’organisation des compétitions sportives, tout en exerçant en parallèle une activité économique dans ce domaine. À cette occasion, la Cour précise notamment que l’exigence fondamentale selon laquelle de telles règles doivent pouvoir faire l’objet d’un contrôle juridictionnel effectif implique, en présence de dispositions conférant une compétence obligatoire et exclusive à un organe arbitral en vue du règlement des différends concernant l’application des règles en cause, de veiller à ce que la juridiction appelée à contrôler les sentences rendues par cet organe soit en mesure, d’une part, de s’assurer du respect des dispositions d’ordre public du droit de l’Union, parmi lesquelles figurent les règles de concurrence, et, d’autre part, de saisir, s’il y a lieu, la Cour à titre préjudiciel, en application de l’article 267 TFUE. »
(...)
« Les règles adoptées par les associations sportives ne sauraient limiter l’exercice des droits et des libertés conférés aux particuliers par le droit de l’Union, des règles d’autorisation préalable et d’éligibilité doivent être assorties d’un contrôle juridictionnel effectif. Cette exigence implique elle-même que la juridiction compétente pour contrôler les sentences rendues par un organe arbitral puisse vérifier que ces sentences respectent les articles 101 et 102 TFUE. En outre, cette juridiction doit répondre à l’ensemble des exigences requises à l’article 267 TFUE, de manière à pouvoir ou, le cas échéant, à satisfaire à l’obligation de saisir la Cour lorsqu’elle estime qu’une décision de celle-ci est nécessaire sur une question de droit de l’Union qui est soulevée dans une affaire pendante devant elle. ». 
(...)
« En l’occurrence, la Cour relève que le Tribunal s’est limité à considérer, de façon indifférenciée et abstraite, que les règles d’arbitrage « peuvent se justifier par des intérêts légitimes liés à la spécificité du sport » en ce qu’elles confient le contrôle des différends liés à la mise en œuvre des règles d’autorisation préalable et d’éligibilité à une « juridiction spécialisée ». Le Tribunal n’a donc pas cherché à s’assurer que les règles d’arbitrage étaient conformes à l’ensemble des exigences précédemment mentionnées et permettaient ainsi un contrôle effectif du respect de l’article 101 TFUE. »
(...)
« La Cour juge que c’est à bon droit que la Commission a conclu que les règles d’arbitrage renforçaient l’infraction visée, en rendant plus difficile le contrôle juridictionnel, au regard du droit de la concurrence de l’Union, des sentences du Tribunal arbitral du sport intervenant à la suite de décisions adoptées par l’ISU en vertu des pouvoirs discrétionnaires que lui confèrent les règles d’autorisation préalable et d’éligibilité. En outre, c’est à bon droit que la Commission a enjoint à l’ISU de mettre fin à cette situation. »

De façon explicite, la Cour précise que l’article 267 du TFUE est pleinement applicable aux règles d’arbitrage qui doivent pouvoir faire l’objet d’un contrôle juridictionnel, en l’occurrence de la CJUE.

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Incontestablement ces 3 arrêts de la Cour de Justice de l’Union européenne remettent en question le fonctionnement monopolistique des fédérations internationales et nationales sur l’organisation de compétitions sportives et des règles d’exclusivité qui y sont attachées. 

En l’état des questions qui leur étaient posées, les juges européens estiment que les règles actuelles contreviennent aux dispositions anticoncurrentielles européennes qui sont constitutives d‘un abus de position dominante.

Ils en profitent pour demander le respect d’un contrôle juridictionnel des organes d’arbitrage mis en place dans le milieu du sport.

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