Contester les décisions du TAS devant les juridictions nationales ? (Affaire Pechstein)

Scpa BERTRAND
27.02.15 00:25 Commentaire(s)
Affaire Pechstein contre l'ISU

La justice allemande vient de rendre deux décisions refusant d'appliquer des arrêts du Tribunal Arbitral du Sport (TAS) (et donc par ricochet, des décisions de Fédérations Internationales), au motif que ceux-ci étaient contraire au droit de l'Union européenne. Découvrez cette semaine les deux arrêts qui peuvent révolutionner l'arbitrage dans le sport. Aujourd'hui, l'affaire Pechstein c/ International Skating Union devant la Cour d’appel de Munich (15.01.2015).
[Partie 2]

Rappel des faits et procédure

1. Claudia Pechstein est une patineuse allemande multi médaillée olympique et mondiale.

2. En 2009, elle devient une des premières patineuses a être sanctionnées pour dopage suite à la mise en place du passeport biologique par l'ISU. La Fédération la suspend alors de toute compétition pour 2 ans.

3. La patineuse fait appel de la décision devant le TAS en application d'une clause d'arbitrage incluse "dans sa licence avec les fédérations nationales et internationales" (sic).

4. Le 25 novembre 2009, le TAS rejette sa demande et confirme la suspension.

5. Pechstein saisit alors le Tribunal Fédéral suisse afin de contester l'arrêt du TAS. Ses demandes sont de nouveau rejetées (Tribunal Fédéral suisse, 10 janvier 2010, 4A_612/2009 ;  Tribunal Fédéral suisse, 28 septembre 2010, 4A_144/2010).

6. Dans le même temps, la patineuse saisit la Cour Européenne des Droits de l'Homme contre la Suisse (qui n'a pas encore rendu sa décision).

7. Suite aux décisions du Tribunal Fédéral suisse, elle engage une action en indemnisation de son préjudice devant le Tribunal de Munich.

Le Tribunal rend son jugement le 26 Février 2014 et reconnait la nullité de la clause d'arbitrage. Néanmoins, il estime que l'attribution du TAS doit être reconnue car Pechstein n'a pas contesté sa compétence au moment de l'appel de la décision de l'ISU.

8. Aussi, Pechstein décide de faire appel du jugement devant la Cour d'appel de Munich.

La Cour d'appel va faire droit aux demandes par un arrêt 15 Janvier 2015 (à ce jour seulle communiqué de presse de la Cour d'appel est paru. Le texte de la décision n'est pas encore disponible).

Sport et clause compromissoire

Une clause compromissoire contraire au droit de la concurrence

La Cour considère que la clause d'arbitrage entre l'ISU et Pechstein est contraire au droit de la concurrence allemand. Les juges refusent ainsi d'appliquer l'article V.2.b. de la Convention de New-York de 1958et de reconnaitre la validité de la sentence du TAS en Allemagne.

Les juges considèrent en effet que les Fédérations Internationales sont en situation de monopole. En d'autres termes, ces Fédérations contrôlent le marché des compétitions sportives internationales et aucun athlète professionnel ne peut se permettre, s'il veut vivre de son sport, de manquer ses compétitions.

Or, le droit de la concurrence allemand interdit à une entreprise placée en position dominante d'imposer des conditions contractuelles qui diffèrent de ce qu'elles seraient dans un environnement concurrentiel normal.

Par conséquent, la Cour considère que l'ISU a illégalement imposé, sans motif "légitime", la signature d'une clause d'arbitrage (par l'intermédiaire de sa licence) à Claudia Pechstein.

En l'espèce, la Cour regrette notamment l'influence des Fédérations dans la nomination des arbitres du TAS (3/5 sont nommés par les institutions sportives). Depuis le 1er janvier 2014, la CIAS (organe de contrôle du TAS) peut nommer les arbitres qu'elle souhaite. Mais pour la Cour, dans l'affaire Pechstein, les institutions sportives sont dans une position favorable concernant la composition du tribunal arbitral. Il en est de même pour la nomination du Président du Tribunal, qui est élu, à la majorité simple, par un organisme "structurellement dépendant des associations nationales".

Les juges en déduisent que l'indépendance du panel arbitral ne peut être garantie et qu'ainsi l'équité du processus arbitral ne peut être assuré. En effet, la procédure ne répond pas aux normes minimales requises pour un procès équitable et les parties ne sont pas traités de manière égale.

Par conséquent, à la lumière de la position monopolistique de l'ISU et le manque d'indépendance des arbitres, imposer une clause d'arbitrage privant l'athlète de son droit constitutionnel à être jugé en équité constitue une violation du droit de la concurrence allemand.

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Les clauses compromissoires et le manque d'indépendance des arbitres

Si la décision devait être confirmée par Cour suprême allemande, cela impliquerait que les sentences du TAS (sauf modification en particulier des règles de désignation des arbitres) ne pourraient plus être exécutoires en Allemagnes et que les athlètes seraient susceptibles de demander des dommages-intérêts aux Institutions sportives.

En attendant la publication de la décision, il est difficile de savoir si celle-ci se fonde uniquement sur le droit de la concurrence allemand ou également sur le droit de l'UE. En effet, si cette décision devait en outre se fonder sur un abus de position dominante au sens de l'article 102 du TFUE, ceci serait susceptible de remettre en cause l'existence même de l'arbitrage dans le sport au sein de l'UE.

Notons que dans le communiqué publié, la Cour reconnait néanmoins l'utilité du TAS et souhaite une réforme institutionnelle du Tribunal pour supprimer les deux points critiqués que sont les clauses compromissoires et le manque d'indépendance des arbitres.


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[26.02.2015]

Scpa BERTRAND