Règles FIFA sur les transferts de footballeurs incompatibles avec le droit européen selon l'avocat général de la CJUE (affaire Lassana Diarra)

Scpa BERTRAND
08.05.24 02:04 Commentaire(s)
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Dans l'affaire Diarra c/ FIFA, l'avocat général Szpunar remet frontalement en cause plusieurs règles clés du système des transferts. Il considère que certaines sanctions sportives et financières du joueur en cas de rupture de son contrat sans juste causela responsabilité solidaire du nouveau club, ou encore le "blocage" du CIT, violent les articles 45 (libre circulation), 101 (concurrence) du TFUE et 15 de la Charte (liberté professionnelle). Après les 3 arrêts rendus le 21 décembre 2023, si la CJUE suit les conclusions de l'avocat général, cela ouvrirait la voie à une potentielle réforme et à devoir repenser certaines dispositions du Règlement du Statut et du Transfert des Joueurs de la FIFA.

Le 30 avril 2024, l'avocat général de la Cour de justice de l'Union européenne Maciej Szpunar a rendu des conclusions très remarquées dans l'affaire opposant l'ancien international français Lassana Diarra à la FIFA.

Cette affaire fait suite au litige entre le joueur et son ancien club le Lokomotiv Moscou concernant la résiliation anticipée de son contrat en 2014-2015.

Saisi d'une question préjudicielle par la Cour d'appel de Mons en Belgique, l'avocat général a examiné la compatibilité de certaines règles de la FIFA en matière de transfert de joueurs avec le droit de l'Union européenne. Plus précisément, étaient en cause les dispositions prévoyant des sanctions sportives et financières ainsi que la solidarité entre joueur et nouveau club en cas de rupture de contrat sans juste cause, de même que la possibilité pour l'ancienne fédération de bloquer le transfert en refusant de délivrer le Certificat International de Transfert (CIT).

Dans ses conclusions, particulièrement critiques à l'égard du règlement FIFA, Maciej Szpunar estime que certaines de ces règles peuvent s'avérer contraires aux règles européennes de concurrence et de libre circulation des personnes. Si elles étaient suivies par la Cour, de telles conclusions pourraient bouleverser le système actuel des transferts dans le football professionnel et conduire à une nouvelle réflexion autour de certaines dispositions du RSTJ de la FIFA.

Nous reviendrons sur le raisonnement de l'avocat général concernant :
  • La restriction à la libre circulation des travailleurs (art. 45 TFUE)
  • La restriction de concurrence (art. 101 TFUE)
  • L'absence de justification à ces restrictions et à l'application de la Charte des droits fondamentaux de l'UE (art. 15 Charte)
Les articles du Règlement du Statut et du Transfert du Joueur (RSTJ) de la FIFA concernés par cette affaire et visés par les conclusions de l'avocat général sont :
  • Article 17.1 : prévoit le paiement d'une indemnité en cas de rupture de contrat sans juste cause.
  • Article 17.2 : établit la responsabilité solidaire du joueur et de son nouveau club pour le paiement de cette indemnité à l'ancien club.
  • Article 17.4 : impose des sanctions sportives (interdiction d'enregistrer de nouveaux joueurs) au club qui engage un joueur ayant rompu son contrat sans juste cause.
  • Article 9.1 et Article 8.2 paragraphes 4b) et 7 de l'Annexe 3 : permettent à l'ancienne fédération de refuser de délivrer le Certificat International de Transfert en cas de litige entre le joueur et son ancien club.

I. L'analyse de l'avocat général sur la compatibilité des règles FIFA avec la libre circulation des travailleurs (art. 45 TFUE)

Dans ses conclusions, l'avocat général Maciej Szpunar examine en premier lieu la compatibilité des règles de la FIFA contestées par Lassana Diarra avec le principe de libre circulation des travailleurs garanti par l'article 45 TFUE.

Dans ses conclusions, l'avocat général Maciej Szpunar estime que les règles de la FIFA en cause constituent indéniablement une restriction à la libre circulation des travailleurs, garantie par l'article 45 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne (TFUE).

Il rappelle la jurisprudence constante de la Cour de Justice de l'UE selon laquelle l'article 45 TFUE s'oppose à toute mesure qui est susceptible de défavoriser ou de dissuader les ressortissants de l'Union lorsqu'ils souhaitent exercer une activité économique dans un autre État membre.
Selon l'avocat général, "le caractère restrictif de l'ensemble des dispositions litigieuses ne fait guère de doute". Il souligne qu'aucune des parties à la procédure ne conteste d'ailleurs ce caractère restrictif.

En effet, les règles prévoyant la responsabilité solidaire du nouveau club en cas d'indemnité due pour rupture de contrat "sont de nature à décourager ou à dissuader les clubs d'engager le joueur par crainte d'un risque financier".

Il en va de même pour "la sanction sportive consistant en l'interdiction d'enregistrer de nouveaux joueurs" au niveau national ou international, ainsi que pour "la non‑délivrance du Certificat International de Transfert (CIT)".

De telles mesures peuvent "effectivement empêcher un joueur d'exercer sa profession dans un club situé dans un autre État membre".
L'avocat général souligne qu'il est inutile d'examiner si ces règles constituent une discrimination indirecte ou une simple entrave.
Ce qui importe, c'est qu'elles empêchent concrètement les joueurs d'être transférés dans des clubs d'autres États membres.
C'est précisément ce qui s'est produit dans le cas de Lassana Diarra, ressortissant français qui avait l'intention d'exercer son activité en Belgique mais en a été empêché par les règles de la FIFA.
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II. L'examen par l'avocat général d'une potentielle restriction de concurrence (art. 101 TFUE)

L'avocat général Maciej Szpunar considère ensuite que les règles en cause de la FIFA constituent également une restriction de concurrence prohibée par l'article 101 TFUE.

Il rappelle que selon la jurisprudence, il faut d'abord examiner si le comportement en cause a un objet anticoncurrentiel. Si c'est le cas, il n'est pas nécessaire d'en examiner les effets. Ce n'est que si l'objet n'est pas anticoncurrentiel qu'il faut alors se pencher, dans un second temps, sur les effets anticoncurrentiels.

Pour déterminer si un accord ou une décision a un objet anticoncurrentiel, il faut examiner son contenu, le contexte économique et juridique dans lequel il s'insère, et les buts qu'il vise à atteindre.

En l'espèce, l'avocat général estime que les règles de la FIFA constituent une restriction de concurrence par objet. 

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En effet, "par leur nature même, les dispositions litigieuses limitent la possibilité pour les joueurs de changer de clubs et, inversement, la possibilité pour les (nouveaux) clubs d'embaucher des joueurs, dans une situation où un joueur a résilié son contrat sans juste cause".

Or "le recrutement de joueurs de talent constitue « un des paramètres essentiels de la concurrence à laquelle peuvent se livrer les clubs de football professionnel »". Donc "les dispositions litigieuses, en limitant la capacité des clubs à recruter des joueurs, affectent nécessairement la concurrence entre les clubs sur le marché de l'acquisition des joueurs professionnels".

À titre subsidiaire, l'avocat général considère qu'il y a à tout le moins une restriction par effet, car en pratique "il n'y a pratiquement aucun cas de rupture de contrat sans juste cause, ce qui constitue (...) une démonstration plus que claire que les dispositions litigieuses parviennent à atteindre l'effet dissuasif qu'elles recherchent".

III. Avocat général Szpunar : les restrictions de la FIFA aux transferts de joueurs ne sont pas nécessairement justifiées

L'avocat général examine ensuite si les restrictions à la libre circulation des travailleurs et à la concurrence peuvent être justifiées.

Pour être justifiée, une restriction à la libre circulation doit répondre à un motif légitime d'intérêt général et respecter le principe de proportionnalité, c'est-à-dire être propre à garantir la réalisation de l'objectif poursuivi et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire.

La FIFA et l'URBSFA invoquent comme motifs légitimes le maintien de la stabilité contractuelle dans le football professionnel et le respect des obligations contractuelles par les joueurs et les clubs. L'avocat général accepte ces motifs comme des raisons impérieuses d'intérêt général, dans la mesure où ils ne sont pas de nature purement économique.

Il rappelle que la Cour a déjà reconnu que l'objectif d'assurer un certain équilibre entre les clubs, en préservant une égalité des chances et l'incertitude des résultats, peut justifier des restrictions.

Toutefois, l'avocat général doute que les règles de la FIFA respectent le principe de proportionnalité. S'il admet qu'elles semblent globalement favoriser la stabilité contractuelle, il s'interroge sur leur nécessité.

Ainsi, concernant la responsabilité solidaire du nouveau club en cas d'indemnité due pour rupture de contrat, "engager systématiquement la responsabilité du nouveau club lorsqu'un joueur est recruté par un autre club me paraît aller au-delà de ce qui est nécessaire pour poursuivre l'objectif légitime, dans une situation où le nouveau club n'a joué aucun rôle dans la résiliation du contrat".

La présomption que le nouveau club a incité le joueur à rompre son contrat semble draconienne, car il est difficile pour le club de prouver son "innocence". Le pouvoir discrétionnaire laissé à la Chambre de Résolution des Litiges de la FIFA pour y déroger "n'offre pas la sécurité juridique nécessaire aux joueurs et aux clubs (...)".

De même, concernant le refus de délivrer le Certificat International de Transfert, l'avocat général relève qu'il peut être fondé sur "la simple allégation que le joueur n'a pas respecté les termes de son contrat". La possibilité pour la FIFA de prendre des mesures provisoires en cas de circonstances exceptionnelles lui semble "trop ténue" pour conclure à la nécessité de cette règle.

IV. L'applicabilité de la Charte des droits fondamentaux et le droit de travailler (art. 15 de la Charte)

Dans la dernière partie de ses conclusions, l'avocat général Maciej Szpunar examine si les règles de la FIFA en cause sont également contraires à l'article 15 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne qui garantit la liberté professionnelle et le droit de travailler.

A cet égard, il considère que la Charte s'applique à la FIFA lorsqu'elle adopte des règles telles que celles en cause. En effet, "si l'application horizontale de l'article 45 TFUE à une entité telle que la FIFA n'a pas posé de problème à la Cour, il doit en aller de même pour l'application de la Charte".

Le règlement de la FIFA doit donc être considéré comme une "loi" au sens de l'article 52 de la Charte qui encadre les limitations aux droits fondamentaux. L'avocat général opte pour "une approche fonctionnelle quant à la définition du terme « loi » et considère le RSTJ comme un « droit matériel », étant donné qu'il est formulé et destiné à s'appliquer de manière abstraite".

Sur le fond, l'avocat général estime que l'article 15 de la Charte, qui protège le droit de choisir et d'exercer une profession, est "fonctionnellement équivalent" à l'article 45 TFUE dans ce cas. Les règles de la FIFA relevant de l'exercice de la profession de footballeur, elles entrent dans le champ de l'article 15.

Toute limitation à ce droit doit être prévue par la loi, respecter son contenu essentiel et le principe de proportionnalité, et répondre à des objectifs d'intérêt général ou au besoin de protéger les droits d'autrui. Sur ce dernier point, l'analyse rejoint celle menée au titre de l'article 45 TFUE.
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En conclusion, l'avocat général Maciej Szpunar invite la Cour de justice de l'Union européenne à considérer que certaines dispositions du Règlement du Statut et du Transfert des Joueurs (RSTJ) de la FIFA, régissant les relations contractuelles entre joueurs et clubs, sont susceptibles de contrevenir tant au droit européen de la concurrence qu'à la libre circulation des travailleurs.


Il estime que ces règles, bien qu'elles puissent poursuivre des objectifs légitimes tels que la stabilité contractuelle et l'équilibre des compétitions, vont au-delà de ce qui est nécessaire et proportionné pour atteindre ces buts. Par conséquent, à moins que la FIFA ne parvienne à démontrer leur stricte nécessité, ces dispositions pourraient être jugées incompatibles avec le droit de l'Union.

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